Pagaille au Circus Risis.

- Bon sang mais je ne trouverai jamais d'autres artistes !

Les mains sur les hanches, je commence à exploser. Tout mes artistes viennent de me quitter pour le Cirque Ravzolji. Un Cirque minable russe, en concurrence avec le notre. Je sais que je m'en prend à Morfred, le dirigeant de la billeterie, mais j'ai besoin qu'on m'écoute ! Accablé par le manque de personnel que nous avons, je m'assois sur une planche en bois surelevé. Je ne peux pas m'occuper toute seule, de ce cirque ! Icare a bien trop de problème à régler, et si il voit dans l'état de d'élabrement le chapiteau et les caravanes, c'est pour ma pomme que ça va prendre. Les traitres, ont mêmes prit mes animaux chéris !

- Mon Dieu, bande de miséreux, vous le regretterez croyez moi !

J'ouvre mon ombrelle blanche et la pose sur mon épaule droite. Je suis anxieuse. C'est ridicule, un cirque à 2 ! Même si nous sommes, il est vrai, talentueux, beaux... Et s'il ne reste que Morfred, un cuisinier galeux et deux trois perruches maladroites, on va avoir l'air de plouc ! Avec un soupir excedé, j'enfonce mes hauts talons dans la terre. Je me dirige, vers l'homme au comptoir et prend son visage ridés entre mes mains. Il rougit et toussote.

- Vous avez interet à me trouver des personnes digne de ce nom ! Vous êtes mon seul espoir ...

Je bats des cils, lui faisant comprendre qu'il aura bien plus si il me cède ce caprice. Je n'ai aucune envie de me coltiner une marche vers la ville, pour me faire reluquer le derrière par des goujats.

- Vous êtes adorable !

Je n'avais jamais rien vu de tel. C'était si beau, si haut, si évolué. Moi n'avais toujours vu que de vieilles bâtisses en pierre volcanique, j'étais subjuguée. Je mourrais d'envie de m'approcher, pour toucher cette toile magnifique, qui paraissait presque irréelle.

Mes pas se faisaient hésitants, et, je respirais prudemment, dans le silence total de mes mouvements. Je n'étais qu'une Cosette, je n'avais pas le droit de faire du bruit. Comme le disaient les jansénistes, rien que le battement de mon coeur n'étaient pas une mélodie approuvée. Alors si en plus je venais à déranger, je serais bonne pour finir en Enfer, sans jugement.

Plus je m'approchais de cet immensité, plus j'avais peur. Mais ce qui m'effraya le plus fut la voix grave d'une dame, au guichet. Son élégance m'éblouit. Elle ne doit pas me voir, petite intruse indésirable, dans mes misérables haillons.

Au fil de mes pas, une boule se créait dans mes entrailles, et me soufflait de partir en courant. Devenais-je folle ? Folle de vouloir découvrir l'inconnu et la modernisation du monde européen, dans notre XIXème siècle ? Je me cachais derrière un arbre. La Grande Dame, dans tout son raffinement et son autorité m'intimidait, et m'attirait. Elle était si belle !

Un pas de trop, une brindille qui craque sous mon pied. Mon visage tourne à l'écarlate. Je monte les yeux vers la Dame, je panique. Je ne sais plus où m'enfuir. Ma boussole interne me trompe, je pars à l'Est. Mon pied s'entrave dans une corde, rattachée à un piquet, qui tient la grande tente blanche et rouge. Mon genou saigne, j'ai peur. Je pleure, encore...

Le vieux galeux ne savait plus où donner de la tête. Il faut tout faire de ce cirque de malheur ! Refermant d'un coup sec et strict mon ombrelle, je le stoppe dans sa course effrénée. Il ne va même pas dans le bon sens, à quoi bon avoir un personnel non compétent ! Mais je ne peux pas le renvoyer maintenant... J'imagine que ça pourrait être un pion important.

- Bon aller, reprenez votre souffle Morfred, je vais faire ça moi même, puisqu'il en est ainsi !

Je soupire d'exaspération. J'ai d'autre chat à fouetter ! Bon sang, que je suis idiote, pourquoi les avoir laisser filé ?! Pourquoi sont ils partis ? J'ordonne au vieux de retourner dans sa roulotte pour commencer à décharger dans le train. Comment je vais faire ? Moi qui ai parcouru la moitié du monde pour trouver des bêtes de foires, du personnels irréprochable, des artistes fabuleux... Tout est tombé à l'eau ! Un bruit, tout petit bruit, me fit faire volte-face. Je m'approche de l'arbre et je vois, une petite forme frêle qui pleurniche en tremblotant.

- On m'espionne ?! Qui es tu ?!

Avec force, je la soulève de la terre et la met sur ses pieds. Je la dépasse de 7 centimètres grâce à mes chaussures. Je ne sais pas quoi penser d'elle. Elle n'a pas l'air bien dangereuse... Elle est toute maigrichonne.. Pauvre petite puce. Mais si ce cirque m'a appris quelque chose, c'est de ne jamais se fier aux apparences ! Au grand jamais ! Avec fermeté, j'attrape son visage entre mon pouce et mon index.

- Alors, je fais si peur que ça ?

Oh non.. Oh Dieu Non ! Je suis désolée, je suis confuse. La Dame prend mon visage entre ses mains. Je la regarde. J'ignore ce que ses yeux expriment, je ne les comprends pas, mais les miens, noirs, commencent à briller. Vais-je oser pleurer maintenant ? J'ai peur de parler. La dernière fois que j'ai utilisé ma voix c'était.. Qu'importe ?

Je secoue nerveusement la tête. Non, elle ne m'effraie pas. C'est sa prestance qui me terrorise.

- Je suis vraiment navrée Madame, je vous en prie, excusez-moi...

J'étais complètement paniquée. Juste ciel, ce que je suis bête, et maladroite ! Mais au moins je me souvenais de quelques mots de Français. Je fixais la Dame avec des yeux suppliants et douloureux. Je sentais mon sang, froid, qui coulait le long de mon mollet fin, et les trainées rouges qui se séparaient comme un delta au niveau de ma cheville. Une bosse gonflait sur ma tempe, à cause du coup de mon crâne sur cette stupide racine trop épaisse pour rester sous terre.

Mes mains, crasseuses, ne savaient plus où se mettre. Mes sourcils, bruns mais pourtant fins, étaient taillés en obliques suppliants. Qu'allait-elle faire de moi ?

- Je suis vraiment navrée Madame, je vous en prie, excusez-moi...

Je fais autant peur que ça ? Je vois qu'elle se plaque contre l'arbre à s'en faire saigner. Je la lâche, examinant sa puanteur et sa saleté. Pauvre petite chose... J'abandonne mon masque de grande Dame et met le vrai, le miens, mon visage. Je ne l'exploite que très peu. Mais une si petite chose... Elle ressemble à un clown triste. Son visage si maigres, son bafouillage trop français, laissait à penser qu'elle ne venait pas du même milieu. Mieux vaut ne pas trop la faire parler.

- Aller ça va pour cette fois.

Une idée, super sonic me traverse l'esprit. Et si... Cette petite avait un potentielle dans son visage... C'était fou. Ses grands yeux noirs luisant me rappelle... Oui en effet. C'est bien ça. Je la décolle de l'arbre et l'entraine derrière moi à la rencontre du distributeur de billet derrière son guichet. Je lui montre la petite et touche ses longs cheveux noirs. Ils sont magnifiques. Un coup de brosse, un peu de maquillage... Ca sera parfait.

- Bon écoute ma petite. J'ai une proposition. Je te loge, et en échange tu m'offres tes services. Ici c'est un cirque, et mes s... Mon personnel m'a lâché. Mon frère, Icare, dirigeant avec moi de ce grand cirque, est partit quelques temps et j'ai un peu tout fait tombé, quoi que c'est sa faute aussi ! Je t'offre un emploi à toi et à ton... Lapin ? Oh, je n'en avais pas !

Elle tenait une boule blanche... Tellement adorable ! Elle ne l'avait pas lâché et il s'était blottit contre elle !

- Je t'en prie dis oui ...

Moi demander de l'aide...?

En réalité, son visage n'était pas si intimidant. Elle ne devait pas être bien plus âgée que moi, même si je ne savais pas vraiment quel âge j'avais, ni à quoi je ressemblais exactement.

Elle me proposa de vivre avec elle, en échange d'un travail. Travailler dans un cirque. Je ne savais même pas ce que c'était, mais c'était certainement plus confortable qu'être seule dans la forêt, à partager ma vie avec Boule de Neige. J'acceptais sa proposition d'un signe de tête. On m'offrait une vie. J'allais pouvoir vivre en société. Avec de vraies personnes. Les arbres et les fleurs ne seraient plus mes seuls compagnons, et je ne passerais plus mes nuits à craindre qu'un loup ou un ours ne me dévore. J'allais sûrement avoir droit à un lit, avec une couverture, entouré de murs, et sous un toit...

Mes yeux fixaient les siens. Je faisais passer ma reconnaissance à travers mon regard. J'ai perdu les mots pour exprimer la joie, et la gratitude. D'un pas timide, je m'avançais vers la Dame. Mon regard se fait encore plus luisant et remerciant. Je hochais encore la tête. Je serrais ses doigts dans ma main, d'un geste plein de reconnaissance. Je lui faisais, à travers mon expression faciale, la promesse de ne jamais la décevoir. Elle serait ma sauveuse. Elle ne sortait de la misère de mon passé. Je lui souriais. La commissure de mes lèvres, qui n'avait pas atteint un point aussi haut depuis bien trop longtemps, me tirait. J'étais presque étonnée de me rapeller comment sourire. Mais je réapprendrais tout, pour la Dame, qui n'offrirait peut-être une identité. Une existence, et un minimum de dignité.

- Tu es adorable !

Son sourire, extrêmement craquant me fait chaud au coeur. Oh comme elle... Non, chut, gardons ça pour l'instant... Mes propos ne sont pas fondé... Allons. Elle sert mes doigts entre ses mains. Elle aurait besoin d'un bon bain chaud... Bizarrement, avec elle, je me sent toute à fais en confiance. Elle ne lâche pas son lapin. Je lui trouverais un espace réservé. Pour l'instant, elle devait prendre de nouveau vêtement, boire, manger et se reposer normalement. Le temps que je fasse du rangement dans ce foutu dépotoire désormais, elle irait se reposer dans ma caravane. Grande âme que je suis. Je vous rassure, c'est très rare...

- Aller, suis moi que je prenne soin de toi. Mais... Quelle est ton prénom ? Tu préfères l'écrire ?

Je m'arrête doucement, prenant un stylo à Morfred et un papier utilisé. Mais... Sait elle écrire ? J'écris d'une main plaisante des lettres. Elle dirigera son doigt, si elle se rappelle de l'alphabet. Je dirige mes doigts fins pinturluré en rouge clair. Montrant la lettre "L-U-C-Y". Son lapin aussi, je voudrais savoir son nom à lui. Je lui fais un sourire franc pour qu'elle ai confiance.

- Aller vas y.

Elle s'appelle Lucy. J'avais lu son nom. Comment pouvais-je me souvenir d'un savoir tel que la lecture, cela faisait une demi douzaine d'années que je n'avais pas ouvert un livre, ni un essai, ni même une simple phrase qu'un texte quelconque. Je la regardais, Lucy, et hochais la tête en souriant discrètement, signe que j'avais compris. Elle me tendit la feuille, et je redécouvrais l'alphabet. Je réfléchis un long moment à l'orthographe de mon prénom. La dernière fois que je l'avais écris avait été à la chute de ma dernière dent de lait. Janie me l'avait fait écrire sur un morceau de papier, à l'encre de chine. Je me souviens qu'elle avait ensuite mis ce petit parchemin dans une petite boite, où elle avait rangé toutes mes petites dents.

Je passais mes doigts sur les lettres "S, T, E, L, L, A". Je voyais qu'elle essayait de prononcer le mot, au fur et à mesure que je lui dévoilais. Quand elle le dis correctement, je lui esquissais un sourire, en hochant la tête. J'étais ravie d'avoir enfin une conversation, après près de six ans d'isolement sauvage.
Je lui tendis Boule de Neige. Il paraissait lourd dans mes petites mains. Je ne sais pas si elle allait vouloir le prendre, mais il était le symbole de ma confiance, et d'une réelle envie de partage et d'un besoin d'engagement et d'utilité.

- Merci madame Lucy.

- Merci madame Lucy.

Je froisse le papier dans ma main. Bien elle s'appelle Stella. Elle était déjà rayonnante comme une petite étoile ! Puis son geste bizarre, elle me tend son lapin. A moi ? Je le prend doucement. Il est lourd ce lapin ! J'avais plutôt l'habitude qu'on le transporte dans une assiette... Mais là c'était tout à fait différent. Plutôt une marque de confiance ? Surement. Je caresse son poil tout doux, blanc, maculé. Lui aussi, était sale. Et il veut surement une bonne carotte avec de l'eau fraiche. Je le soulève devant mon visage et lui fait un petit sourire. Il pourrait être utile.

- Bien, maintenant, suis moi. Je t'accompagne à mon chez moi, que je te change. Tu vas être toute belle. Mais crois moi, je ne suis pas gentille normalement...

Mais ce n'est pas l'envie parfois qui m'en manque. En enlevant mes talons, défaisant mon corset et enlevant ce rouge à lèvre vermeille, je ne suis qu'une jeune fille. Mais mon image de diva me tient trop à coeur. Rarement je laisse tomber le masque. Rarement, voir quasiment jamais. Je redonne la petite boule de poil à croquer à sa maitresse. Il est bien dans ses bras, à elle. Il va falloir que je lui enseigne la parole, à cette pauvre enfant.

- Tu vas connaitre des tas de choses ici, je te le promet, petite Stella.

» Lucy Risis
» Icare Risis

Pagaille au Circus Risis.

Pagaille au Circus Risis.

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